Pagnes Baoulé exposés à Bomizambo, Côte d'Ivoire |
La Côte d’Ivoire, à l’instar de l’Afrique Subsaharienne, regorge d’une diversité de population. Il s’en suit naturellement une variété culturelle marquée par la richesse du patrimoine matériel chez ces peuples. Le pagne traditionnel occupe une place de choix dans la culture ivoirienne. Au-delà de sa fonction première, en tant que vêtement, celle de couvrir ou cacher la nudité de l’individu, le pagne traditionnel chez les peuples de Côte d’ivoire se veut être un véritable support d’information. Aujourd’hui encore, bien que dans une mesure moindre en raison de l’apparition de puissants moyens modernes de communication, le pagne traditionnel continue d’être un moyen d’expression et de lecture de la société. Cela est rendu possible par le fait que ce pagne fait appel à des moyens de création qui transcendent l’artisanat pour atteindre le niveau de l’art par le biais d’un certain nombre de démarches plastiques dont la plus remarquable est le choix des motifs ou signes graphiques et leur fonctionnement sémantique. La présente étude est guidée par la question de savoir quelle est la valeur sémantico-culturelle à la fois des motifs présents dans le pagne traditionnel et des différentes dénominations que prend celui-ci chez les peuples Akan, Dan et Sénoufo en Côte d’Ivoire. Dans un premier temps, l’objectif de notre réflexion est de fournir des éléments graphiques et linguistiques permettant d’assigner à un pagne donné une appartenance au patrimoine culturel de l’un de ces trois groupes ethniques et, dans un second temps, d’apporter des outils d’interprétation sémantique des motifs et des noms de pagne en considération des croyances et réalités culturelles de ces peuples.
Décodage symbolique des principaux motifs et couleurs dans les pagnes Akan, Dan et Sénoufo
Les couleurs et leur symbolique en pays Akan, Dan et Sénoufo
Trois couleurs sont essentiellement communes aux peuples d’Afrique sub-saharienne. Ce sont : le noir, le rouge et le blanc. Cela est attesté par Senghor dans son écrit sur L’esthétique négro-africain quand il affirme que « les figurent sont peintes de couleurs traditionnelles de l’Afrique noir : blanc, noir, rouge » (Senghor : 1956). A côté de ces trois couleurs « universelles » l’on remarque la présence de certaines autres sur la palette de couleur sub-saharienne. Il s’agit notamment du jaune ocre, couleur de la terre et assez fréquent dans les zones de forêt et de savane, du bleu et du vert, lesquels sont rares (Seidou : 2007).
Le tableau suivant fait état du sens culturel de quelques couleurs dominantes chez les peuples Akan, Dan et Sénoufo.Auteur: Tchetche |
Comme le montre le tableau, les couleurs prennent un sens différent d’un groupe à un autre. Aussi il convient de souligner que ces couleurs ont des dérivés dont la symbolique peut être assimilée à celle de la couleur principale. Autrement dit, les couleurs claires ont un sens proche du blanc, l’orange est plus proche du rouge, tandis que les couleurs sombres sont sémantiquement proches du noir.
Les types de motifs dans le pagne traditionnel et leur sémiotique
La sémiotique est un terme linguistique relatif à la théorie générale des signes, à leur signification sous toutes ses formes. Un motif est conçu ici comme un graphique. Il désigne l’ensemble des signes graphiques présents dans le tissu et formant une frise. Les tissus traditionnels ivoiriens présentent une variété de motifs qui peuvent être regroupés en trois catégories : les motifs de formes géométriques, les motifs faits de dessins et les motifs faits de raies ou rayures.
Les motifs de formes géométriques
Il s’agit ici de tout motif fait de lignes droites, brisées, de points, pointillés ou pouvant être identifié comme étant un rectangle, un carré, un losange, un triangle, un trapèze, un cercle ou autre figure quelconque. Présents par excellence dans les pagnes Akan tels que le Kita et le pagne Baoulé, ces motifs traduisent la recherche d’une esthétique optique ou chromatique tout en révélant cette manière particulière de conserver les événements par écrits ou d’exprimer un proverbe (Sanogo : 2001)
Quelques illustrations de motifs de formes géométriques:
Le pagne Kita |
Le pagne Baoulé |
Le pagne Sénoufo |
Les motifs faits de dessins
Ces dessins sont des représentations d’animaux, de végétaux ou d’objets usuels. Les objets usuels symbolisent en général des emblèmes, la foi religieuse, le travail quotidien et aussi des témoignages d’époques. Quant aux motifs animaliers, ils mettent en exergue les qualités et les défauts des hommes. Ils constituent une satire du mal et une exhortation à faire le bien. Enfin, les végétaux traduisent des sentiments (amour, déception, joie…) (Sanogo; 2001)
Pagne traditionnel Sénoufo |
Les motifs faits de raies ou rayures
Ces motifs sont caractérisés par une alternance de rayures de différentes couleurs, généralement des rayures blanches alternées d’une autre couleur. Ce motif est essentiellement présent dans le pagne Dan (ou pagne Yacouba) et aussi dans certains pagnes Sénoufo.
Motifs à rayures dans un pagne Yacouba |
Pagne Sénoufo |
L’étude présente n’étant pas celle exhaustive du pagne dans le patrimoine matériel de ces peuples, nous nous proposons de limiter notre champ d’investigation à quelques pagnes dont la notoriété, au fil du temps, les a rendus assimilables à l’idée de pagne traditionnel chez les peuples soumis à notre étude. Il s’agit notamment des pagnes Kita (ou Kente en Ashanti) et baoulé chez les Akan, du Bogolan chez les Sénoufo et du pagne Yacouba en pays Dan.
Les pagnes Akan
- Le Kita
Le Kita est un pagne d’origine ashanti confectionné à partir de bandes tissées et assemblées avec des fils de coton et de soie, le tout formant une étoffe épaisse (lourde au toucher et au porter). Arborant des couleurs éclatantes et lumineuses, le pagne est décoré lors du tissage de motifs géométriques (escaliers alternés, assemblage de trapèzes, lignes en zigzag, losanges, rectangles, carrés etc.). Selon Sanogo (2001), le choix d’un tel type de motifs est fondé sur la recherche d’ « effets optiques et chromatiques » (P. 201). L’auteur poursuit sa description comme suit : « Les motifs portent eux-mêmes des noms et ont une valeur symbolique précise. Les couleurs dominantes sont le jaune associé à l’or (l’Ashanti est le pays de l’or), à la richesse ou à la prospérité, le vert à la forêt environnante, le rouge à la sorcellerie, le blanc à la pureté et au deuil. C’est le vêtement de cérémonie par excellence des Akans. » (Ibid.)
Il sied d’ajouter que les motifs du Kita retracent la vie de la société traditionnelle ashanti en général et celle de la royauté en particulier.
Le tissage d'un pagne Kita |
- Le pagne Baoulé
On distingue trois variétés de pagne baoulé :
Les pagnes à l’aspect luisant dont les motifs sont faits en fil de soie |
Les pagnes aux motifs en peau de panthère, d’où leur nom « Golikplo ». Ce sont les plus rares |
Ceux dont les motifs sont faits en coton. Ce sont les plus répandus |
Parlant du pagne baoulé, le professeur Raoul Germain Blé affirmait que « chaque motif a un nom particulier et des symboles baoulé possédant une signification intrinsèque » (2012).
- Le Bogolan Sénoufo
Aussi surnommé le pagne du guerrier, ce pagne Sénoufo est décoré de nombreux animaux mythologiques ou totémiques. A titre illustratif nous pouvons citer le crocodile, la tortue, le caméléon, tous généralement dessinés selon des motifs géométriques. Ces animaux sacrés peints en noir directement sur le tissu « avaient le pouvoir de protéger et de procurer une bonne chasse aux chasseurs qui portaient cette tunique » (Anquetil, 1990 : 292_cité par Raoul Germain Blé : 2012).
Exemples de pagnes sénoufo |
- Le pagne Yacouba
Les caractéristiques du pagne Yacouba nous sont fournies par Sanogo (2001). A cet sujet, elle écrit : « Les tissages Yacouba sont en majorité bleu indigo, noir et blanc avec des rayures longitudinales dont le rythme est varié (large, fine…) » (Ibid. 258)
Les pagnes traditionnels Yacouba |
Toutefois des divergences d’opinions demeurent quant à l’existence d’un pagne « typiquement » ou, disons, « culturellement » Yacouba. S’exprimant sur la question, le Professeur Blé soutient que le pagne Yacouba n’est autre que « la reproduction du modèle Baoulé » (BLE 2012). Aussi les noms des pagnes Yacouba, surtout ceux d’homme, sont déterminés par leur usage ou leur fonction (Sanogo : 2001). Chez les Baoulé, par contre, la question du nom du pagne est loin d’être aussi simple qu’en pays Yacouba. C’est ce qui constituera la dernière partie de notre travail.
La relation entre les motifs, la dénomination et leur signification issue du contexte culturel : Cas du pagne Baoulé
Le mot « signification » s’entend ici comme le sens, la valeur ou l’importance accordée aux motifs et noms de pagne dans un contexte culturel qui est celui du peuple Baoulé. Dans cette perspective, les motifs et noms de pagne sont conçus comme des repères socioculturels dont la fonction est la matérialisation de la vision du monde chez ces peuples. Bien entendu, cette fonction n’exclut néanmoins pas la recherche du beau et de l’esthétique.
Par ailleurs, la mise en relation des motifs, du nom et de leur signification issue du contexte culturel suggère un lien entre eux et postule quelques interrogations : lequel d’entre ces trois éléments détermine l’autre ? Autrement dit, le nom assigné au pagne peut-il, à lui seul, véhiculer une symbolique culturelle sans tenir compte des motifs ?
La revue de littérature que nous avons effectuée nous permet de présenter trois cas de figure en guise de réponse à ces interrogations.
Premier cas : Interaction entre motifs, nom (baoulé) et signification
Ce schéma qui est notre œuvre a pour but de résumer l’une des conclusions de Sanogo (2001). Elle écrit : « Le support, les couleurs, les motifs (rayures, raies, figures géométriques, motifs animaliers ou végétaux…) donnent le plus souvent leurs noms aux pagnes traditionnels. Ces noms sont chargés de messages évocateurs (l’homme dans ses multiples dimensions avec ses joies, ses peines, le monde dans lequel il vit) » (p. 485)
Pour exemplifier nos propos nous prenons l’exemple du pagne N’Zuéba
En Baoulé, le terme « N’zuéba » signifie ruisseau. Il s’agit d’un petit cours d’eau non rectiligne dont l’aspect tortueux est représenté par la ligne brisée dans le motif du pagne. Il symbolise la vie de l’homme conçu comme un chemin tortueux où se succèdent le bien et le mal, le bonheur et le malheur, le blanc et le noir. En tant que tel le motif N’Zuéba traduit aussi la victoire de la vie sur la mort. (Kouamé : 2013)
Ainsi, la dynamique de l’interaction motifs-nom sert à exprimer un pan de la vision du monde en pays baoulé.
Deuxième cas : Écart motif-nom, lien nom-signification
Le deuxième cas est caractérisé par un écart (lien pas nécessairement établi) entre le motif et le nom du pagne. Cela est visible dans le schéma suivant :
Troisième cas : Motifs - Nom d’acquéreur-Signification
Ce troisième type de relation se présente selon la figure suivante :
Dans ce troisième cas de figure, les pagnes portent les noms et prénoms des acquéreurs qui passent les commandes. Parfois, comme le souligne Sanogo (2001) des « autorités politiques et administratives reçoivent des dons de pagnes portant leurs identités » (p.261). Ici il n’y a généralement aucun lien entre les motifs contenus dans le pagne traditionnel, le nom de celui-ci et une possible signification.
Quatrième cas : Motifs – Nom de célébrités – Signification
Cette quatrième relation n’est pas tellement différente de la précédente :
Ici, le pagne porte le nom d’un personnage populaire (artiste, chanteur, autorités politique, homme d’Etat etc.). Également, l’on ne perçoit aucun lien direct entre le choix du motif, le nom du personnage et une quelconque signification. Ce genre de pagne est généralement propre à une période ou une circonstance donnée. A titre d’exemple, nous avons le pagne Kwame N’Krumah qui doit son nom au premier président du Ghana et le pagne Alla Térézi, en hommage à l’illustre artiste-chanteuse Alla Thérèse, digne représentante de la culture baoulé dont elle arborait le pagne à l’occasion de ses prestations scéniques et le pagne Akobo poussière.
A la fin de cette troisième partie de notre travail, nous retenons que la relation entre les motifs, le nom et la signification du pagne traditionnel baoulé est perceptible à quatre niveaux. Il ressort de cette analyse que seuls les deux premiers cas de figure laissent entrevoir une interaction, un lien étroit entre ces trois entités. La dynamique produite par cette relation explique la place d’avant-garde qu’occupe les pagnes tels que le N’Zuéba, le Golikplo, le Nankanfian dans le patrimoine culturelle matériel et identitaire du peuple Baoulé.
Au terme de notre étude, nous retenons que les motifs et le nom du pagne traditionnel, indépendamment de l’usage que l’on fait de celui-ci, ont une valeur culturelle. Cela est visible à travers la relation complexe qui existe entre les motifs, le nom du pagne et leur signification issue du contexte culturelle. Cependant les troisième et quatrième cas présentés dans le chapitre trois nous montrent que les tisserands baoulé sont de plus en plus tournés vers la vente de leurs produits, au détriment d’une quelconque promotion, valorisation ou préservation de la culture baoulé à travers la confection du pagne, lequel est tissé pour satisfaire les commandes extérieurs et les touristes. Ainsi les standards (culturels) connaîtront une baisse si les artisans ne produisent que pour les commandes d’exportations et les touristes. Il ressort de nos recherches qu’une consommation ivoirienne des pagnes ivoiriens serait à la fois un facteur de développement rural et un moyen de préservation, de valorisation et de promotion de la culture ivoirienne dans toute sa diversité.
TCHETCHE Gbakui Tryphène, Etudiant en Master Etudes Coréennes
Références
- KOUAKOU Kouamé, Gravure Akou et identités culturelles : le cas baoulé
- SANOGO épse Sissoko Mamina, Dénominations de pagnes et comportements socio-économiques des ivoiriens, Université de Cocody, 2001
- TOTO Kouamé, Esthétique (l’) dans le pagne traditionnel Baoulé, UFHB 2013
- Afrikhepri Origine et histoire du pagne BEAUTÉ, MODE & ARTS
- http://afrikhepri.org/origine-et-histoire-du-pagne/ publié 17 Mai 2017, consulté le 12 Janvier 2018 à 19.30
- Raoul Germain Blé, « Le pagne », Communication [En ligne], Vol. 30/1 | 2012, mis en ligne le 29 novembre 2012, consulté le 12 janvier 2018. URL : http://journals.openedition.org/communication/3026 ; DOI : 10.4000/communication.3026
- HEILIG Marc, Un pagne funéraire sénoufo, https://archeographe.net/Un-pagne-funeraire-senoufo 13 janvier 2018 à 18h 50
- VAROQUI Jacques , Wabou, un masque qui sort aux funérailles, https://archeographe.net/Wabou-un-masque-qui-sort-aux, consulté le 17 Janvier à 17h55
It's just good
RépondreSupprimermerci, un article très riche
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